Texte d’Yve-Alain Bois
Georges Badin par Yve-Alain Bois
A voir les tableaux de Georges Badin, on se dit que ce sont peut-être les poètes qui vont sauver la peinture qu’on nous dit moribonde depuis déjà pas mal de temps – ou, pour le dire plus précisément, que ce sont les poètes qui vont pouvoir, en toute innocence, rétablir l’image de la peinture.
On le sait bien, l’image n’a pas fait bon ménage, tout au long de ce siècle, avec la modernité picturale. Il y a toujours eu déséquilibre, soit domination de l’image sur la pratique de peindre (surréalisme), soit exclusion (abstraction). Ici, et je crois que c’est parce que le travail de Badin a d’abord été poétique, on n’a ni un apport thétique de l’image, ni un rapport antithétique à l’image. C’est plutôt un rapport dynamique et volontairement inaccompli: on dirait que Badin ne s’intéresse qu’à la possibilité de l’image, qu’à celle-ci en tant qu’elle peut naître, métaphoriquement peut-être, en tout cas fugace. D’où ce temps apparemment rapide, irréfléchi, mais sans le théâtre de « l’inconscient », de l’inscription picturale, une temporalité qui semble assez proche de celle de l’écriture d’un journal (à quoi on peut aussi rattacher la régularité quotidienne. de la production), presque mercenaire, comme disait Valéry de son travail. On pourrait aussi dire que c’est une peinture de la traduction. Traduction d’images vues, de choses lues, en possibilité d’autres images. L’image émerge parfois, apparition fulgurante comme la passante de Baudelaire, mais le plus souvent non, elles se tient au seuil. Le tableau appelle l’image. D’où aussi peut-être, à de très rares exceptions, (notamment dans une scène de natures mortes aux citrons où Badin soudain très proche de Matisse cherche à rendre l’éclat d’une saveur), l’absence de composition, le côté troué, pas seulement inachevé ou fragmenté mais ponctué de béances des tableaux. Il n’est pas un hasard, je pense, que Badin ait été particulièrement attiré, au point d’en faire le thème, si l’on peut dire, de sa dernière série, par le récent livre d’Hubert Damisch sur le jugement de Pâris (mais le mot thème est faux, bien sûr: disons que ce livre et la manière dont Damisch y phagocyte son lecteur à propos de l’un des mythes constitutifs de l’idée de beauté, a fonctionné pour Badin comme embrayeur). Notons qu’il ne s’agit pas là de n’importe quel genre de livre mais d’une fiction théorique (au même titre par exemple, que « Totem et tabou » ou « L’origine de la tragédie »), c’est à dire d’un genre qui ne saurait se prêter à l’illustration. Mais surtout, cette fiction théorique tourne autour de la naissance du désir d’image, à savoir ce dont Badin a toujours voulu non dépeindre mais peindre.