Lieux d’eau

Un texte de Georges Badin, janvier 2007

Si j’ai le désir de revenir sur un lieu, pour le moment je n’ai aucun repère, aucune image, je ne souhaite rien et ce que je veux, c’est que l’hésitation soit ma seule directive. Ce serait tourner autour d’une seule image, le plus souvent possible, ce qui revient à dire ne pas s’y arrêter, afin que le temps de la peinture, comme celui de l’écriture si je prenais le parti de la narration, soit le plus présent possible. Je souhaite le plus possible être dans la fable, c’est-à-dire dans le sens qui peut paraître unique si on regarde la page mais qui ne l’est plus si l’on feuillette le livre ou le carnet. Avec certitude les éléments qui constitueront le dessin ou la peinture seront dans une grande mesure le plus près de ce qu’ils sont : les couleurs et les choses. Voilà un premier désir.

L’auteur, à son corps défendant, sera si peu dans la ressemblance que la pierre sera rouge ou jaune, c’est dire qu’elle prendra les couleurs de la lumière, que le corps n’aura été que deux courbes qui se joignent, que l’eau ne sera connue que par ses passages inégaux sur la page, bleus à coup sûr, que le feuillage ne dira qu’entrelacements et apparition succincte. L’embellir ? La restituer telle qu’elle fut ? Vouloir ne pas s’en séparer ? Indéfiniment en butte à ce qui est, destiné à naître, prendre forme, passer de l’inertie à une vie. L’interrogation, du moins le signe qui la traduit un peu comme une oreille, influence, fait dériver, attendre, prolonge l’image même si elle met l’auteur en position de l’emporter, lui donnera la possibilité de faire des variations nombreuses pour ne pas avoir à choisir.

Deux lieux : l’un dans la nature, l’autre sur la page ou la toile. Que serait l’auteur sans le désir dont la navigation au long cours est retenue dans les filets (mailles) du peintre et de son modèle ?

Dans le face à face avec ce qui a vie (et refuse une immobilité sans effusion), dans le survol que fait l’oiseau sur toute matière, toute vue, tout état, il semble que le peintre ou l’écrivain ne fasse aucun choix, qu’il soit confronté à tous ces errements et en fin de compte à son corps ici et maintenant, de telle manière que le paysage sera le corps de celui qui écrit ou peint.

Espace à découvert, tous les éléments qui le composent sont à leur place d’habitude, éclairés, offerts sans pudeur. Dans une attente qui n’est pas voulue mais se révèle nécessaire lorsque la blancheur du papier ou de la toile sera à sa disposition. D’où pour l’auteur la nécessité désormais souveraine de prendre une distance vis-à-vis des corps naturels, feuilles, eau, pierres, des couleurs qui s’y rapportent et du corps mobile pour les mettre le plus à distance possible de lui-même et ainsi les rendre autonomes sur chaque toile, sur chaque feuille toujours dans le temps présent. Chaque fois serait la première.

Deux lieux, dans une expectative, accueillant les sensations sans distinction. Des toiles aux textes : des profondeurs, des envols, des va et vient.


Georges Badin, janvier 2007