La porte
Texte de Georges Badin, avril 2007
Des enfants bleus et jaunes avec une peur inavouée, et sans reproche.
Pour atteindre le marteau et attendre que la porte soit ouverte de l’intérieur – le temps serait long car la première entrée faisait partie d’un long couloir à partir de la cuisine – il devait prendre appui sur la poignée en forme de rectangle de cuivre et il frappa fort en rabattant le marteau plusieurs fois. Escalade presque, du moins il le pensait, et c’était déjà un tout premier assaut, un nouvel affrontement dont il ne mesurait pas l’enjeu. Moments d’hésitation et il avait là toutes les chances de l’emporter, toute liberté pour réussir : vouloir franchir sans encombre l’obstacle. Pris dans un rythme où le temps est seul en vue, comme l’enfant, ce qui engendre une attente sans loi ni épaisseur, inavouable. Peut-être n’arrête-t-il pas d’y penser, c’est-à-dire de pouvoir écrire ce qu’il espère qui va venir tout en doutant de ses pouvoirs.
Aucun arrêt brutal dans ce déroulement, début, mais un temps continu, au rythme égal emplissant l’enfant et son passage. Image unifiée, à la surface comme d’un miroir, que l’on pourrait lire ou voir quand elle est tenue par un auteur. Offertoires.
L’enfant, de son seul côté, est saisi par le resserrement sans qu’il l’ait voulu ou cherché (ce ne serait qu’un passage dans l’ombre ?), en opposition à l’écrivain ou au peintre en quête du joug qui leur servira dans une nudité bienfaisante, même si tous les dangers ou effacements sont possibles.
Deux regards : des lignes droites de l’un à l’autre, aucune signification en lecture. Un acte d’amour selon l’écrivain qui a pris la scène en marche, notant la bienveillance complète de l’enfant afin que la fureur sur la porte devienne mystère.
Deux couleurs et si on les nomme, elles ne participent qu’à un échange éphémère, celui des yeux de la porte sur leur mouvement. Elles serviront plus tard après le lever du soleil sur la mer et leur lente montée sous le regard du peintre les fera unité ou opposition, enfin nommées et écrites, lieux de passage, moments de tumultes, sensibles par les mots inexorablement.
Il y eut « une guérilla sans reproche » (Char)
Des mots nous ayant accompagnés pour braver le temps.
Une vie, celle de l’enfant, lue comme vérité : vulnérabilité, mots en position de combat, ordre auquel il ne participe pas, vouloir toute la puissance alors qu’il n’en connaît pas le sens, étrangeté pour peu qu’il n’ attende aucun effet.
Je m’avance vers cette scène lointaine, comme si elle était devenue nécessairement présente.
Que soit joint l’enfant (la peur, son envahissement) à l’oiseau (son premier chant), au poète, au peintre, assaillants sur leur terrain, sans défense.