Exposition Badin à la galerie La Métisse d’Argile (Saint-Hippolyte – 37)
Entrée libre : vendredi, samedi, dimanche, lundi de 15 h à 19 h (tél : 02 47 94 74 96)
2 textes de Georges Badin et Daniel Leuwers « Peintures – Poèmes » à la Métisse d’Argile
Une force obscure pour chasser la formule rampante, dans le refus de l’épilogue / par Georges Badin
Le poète s’approche du verbe sans le prononcer, sans l’écrire, il ne sera pas à l’infinitif, ce qui le vêtirait d’une nuance impérative. Volubilité, calme, intransigeance, pour des phares cependant, au carrefour de tous les sujets.
Une force dont pour le moment on ne distingue pas les contours, en pleine lumière, unirait les auteurs à leur insu, l’un comme l’autre agissant sur la page.
Instabilité : les syllabes sont sonores, le mot est long, son engagement univoque, son sens une fois pour toutes, il soumet à un déclin, mais dans le cours de l’écriture, de la peinture, entre « la base et le sommet », il aura, à tout moment où il apparaît, des dessins, des fournaises multiples, durables et une inclinaison au présent. Base : désir pour ne pas en avoir fini, ne pas achever. Sommet : rêve qui s’éparpille, se reforme, contre les insurgés, ceux qui se mettent avec insistance devant l’objectif. Ecrivant, peignant, tous deux ont un lieu. Là où ils sont, tout est à eux : moments hétérogènes, des richesses voisines de la perte, en dehors de ce qu’ils peuvent entendre ou prévoir. L’un comme l’autre sont dans ces intervalles, où il semblerait que toute décision doive être prise à l’encontre du durcissement qui emprisonnerait dans un sens univoque. « …Il ne remporte qu’une victoire mesurée dont promptement il se détourne, comme un peintre de sa palette, non comme un belliqueux de sa panoplie. » écrit René Char à propos d’Albert Camus. Je pense aux temps ouverts, où aucun repère n’est à la disposition des auteurs et où cette perte sera leur avenir, étrangement.
Bienfaits autant qu’il est possible de tous les mesurer et parcourir, altérables, ce sont là des carrefours et tout de suite écrits puisque le livre est aussi demande et désir, les deux branches de la croix qui sur la toile rejoignent la croisée de la fenêtre et au fond la montagne de salut, tous ces éléments, sujets, histoires, à la fois tenus et incomplets.
Les matinaux, alors que paraît le premier jour, que les couleurs, le bleu et le jaune, sont séparées, – bleu souverain, le paradis jaune ayant disparu – sont rejoints par ce qui est : saisis, brutalement, dépossédés dans l’aride platitude du lisse. La mémoire interviendra, assez vite ou d’une façon plus lointaine. Ils seront là, éveillés, dans leur présent. Des faits d’écriture, de peinture. Ce dessaisissement à leur portée, peut-être rejoints par un livre unique, désirs en place, seuil infranchi.
La Fête / par Daniel Leuwers
J’imagine la scène ainsi : Badin descend au jardin, ramasse du bois, discerne du bleu dans le soleil, rêve à une baie voisine où parfois il s’évade -Paulilles, sur la côte méditerranéenne-, puis remonte dans son atelier (je n’y suis jamais allé, et je ne connais pas l’homme, pas même en photo –seulement sa voix au téléphone. Mais une voix dit tout –ou presque).
Et j’imagine que ce rituel conforte chez Badin l’oubli des premiers mots de son poème (deux recueils au Mercure de France ont révélé dans les années 60 sa proximité avec André du Bouchet). De cette voix poétique apparemment éteinte, Georges Badin ne parle guère. Il esquive le sujet. Il se tait. C’est dans les couleurs qu’il se terre, soulève la terre, voit l’éther.
En son atelier, voici que du monde il s’allège. Les hauteurs où se love le village de Céret s’y prêtent. Georges Badin vit là depuis 1927, dans ce Céret (serré et éclaté à la fois) que Picasso visita et aima – Picasso dont Badin n’a jamais oublié la totale liberté de son bras en quête de noces hédonistes, de guerres érotiques et de joies graves, telle la corrida.
Badin rêve que ses toiles s’achèvent en poèmes. C’est comme si Manet appelait à son secours Mallarmé. Mais pour Georges Badin cette singulière torsion lui permet de boucler une boucle au terme de laquelle ni le peintre ni le poète ne se sentiront seuls. Badin convie donc des complices –des poètes à qui il n’aurait certainement pas déplu d’être aussi des peintres. Michel Butor, parmi d’autres.
Et la scène finale, avant les trois coups de la représentation, se présente à peu près ainsi : des toiles écrites, des bois, des boîtes, des corridas et des parasols s’inventent et s’invitent au milieu des livres. Mots et traits s’imbriquent. Le regard se démultiplie. C’est la fête à Badin. Ah, qu’il est bon d’en être !