Le mas de l’albe

by b

Text écrit à l’occasion de la parution du livre Etincelles d’instants : peintures de GB, poèmes manuscrits de GEC, éditeur Eric Coisel, collection mémoires.

Je parle d’un ami, il  répond par des poèmes,  sa parole est ininterrompue.

Nos rencontres, Georges-Emmanue Clancier et moi : plages, mas de l’Albe, la maison à Céret. Pas d’inertie, des « salves d’avenir » (Char), si peu de nonchalance  :  de l’arbre à la prairie, du fossé au sentier de montagne, de la couleur unie aux mots qui la défont, de l’attente, ce maître absolu contre la mauvaise rigueur, à la délicatesse des sens différents entre lesquels oscille, hésite la boussole. Quelques inquiétudes seront permises pour laisser toute la place aux mots , aux couleurs sur la page, aux lignes sans repentir.  Aujourd’hui je sais, dans les interrogations que je lui soumettais, que des pages de livres s’écrivaient, se coloraient de l’un à l’autre, sans que nous nous en doutions pendant que sa voix donnait à entendre des poèmes futurs.
Si je me sers des mots maintenant pour revenir à ces images, c’est pour que l’oubli ne fasse pas silence. « Deux hirondelles tantôt silencieuses, tantôt loquaces se partagent l’infini du ciel et le même auvent » (Char).
La ligne jaune sur le papier  paraît ferme, d’une seule traite,  pourtant le sable est comme désemparé, cherchant l’allié unique. Le bleu outremer, rageusement, les dents serrées,  le couvre avec sa frange blanche qui l’ensemence. Quel verbe emploiera le poète pour ne pas perdre de vue ces passages d’une répétition inassouvie – seraient-ils d’amour? – . S’il songe à l’acte présent, il dira : c’est le sable qui lui cède. S’il est invité, volontairement ou pas,  à noter cette scène, devant l’eau et le sable, il  écrira : le sable respire pour elle, l’attendait.
Il s’approchera de l’arbousier, ce rouge hésitant sur le ciel, état variable entre la saveur et le désir de la prolonger. Cette couleur inexplorée, il la voit de la fenêtre du mas : je m’éveille, dit-il. Elle, comme un don qu’il fera au peintre.
Il a les yeux fixés sur le violet qui enveloppe la montagne,  est défait par les premiers rayons du soleil. Je le suis dans le parcours de ses yeux et nous voyons ensemble que le jaune des premiers rayons a rendu la colline vulnérable, consentante. Pour ne pas être soumis comme elle, il va vers le clocher de Saint-Ferréol où il trouve « un passager du temps ». Saura-t-il faire le lien avec cette image salvatrice, cette pensée heureuse, grâce à laquelle le poème adviendra ? Il sait qu’il ne doit pas s’attarder aux regards insistants, à cette métamorphose qui se produit sous ses yeux : en effet la phosphorescence jaune ne voile qu’elle-même, c’est-à-dire une lueur qui passe et non qui fonde. Il semblerait que l’égarement du poète ne soit dû qu’aux étendues colorées, du jaune trop épandu, sans présence, au violet trop tôt parti, je veux dire que cette perdition n’est qu’apparente, un faux-semblant sans dommage pour lui.
La franchise en tout cas, qui fait défaut si souvent que ne sont pas notés tous les changements du jour : masses, couleurs, bruits, brises… importe peu en regard de ce par quoi il est pris, soutenu. Mais celle-ci ne l’a jamais abandonné, bien qu’il ait pu proférer la même interrogation que le Christ sur la croix à son père. Et dans ce livre qui lui aussi nous dessine, elle ne le quittera pas, comme si ce chant était du ciel à la terre.

Georges Badin