Sans attente
Un texte de Jean-paul Gavard-perret, septembre 2009
SANS ATTENTE : GEORGES BADIN
A l’origine il y a le geste de peindre comme élément majeur et lien entre la terre et le ciel. Il ne s’agit pas pour autant de le réduire à un simple « totem ». Georges Badin ouvre, crée des éclatements, des jets. Pour un traité majeur des formes. Le geste dans ce qu’il possède d’instinctif est le fruit d’une approche complexe au sein d’un travail exemplaire.
En surgissent des surfaces tordues, reforgées, annonciatrices d’espace. Mais de quel espace s’agit-il ? Et quels liens unissent les couleurs et les lignes éparses-jointes que l’artiste y place ? Tout est proche et lointain. Et l’oeuvre permet de se perdre et de se retrouver. Badin nous ramène d’où on est sorti – mais en est-on vraiment sorti ?… Toujours est-il que l’artiste permet de comprendre ce qu’il en est de nos limbes et surtout de là où nous serions. Enfin.
De telles oeuvres sont ouvertes, fermées, mobiles, dynamiques. On les approche visuellement mais on peut aller plus avant et faire « jouer » la peinture dans les ensembles que l’artiste propose. Existent à la fois une solidité sans failles et des effets de jointoiements. Il en va d’une double fouille : celle qu’a opéré l’artiste, celle qu’elle propose au regard et à la main.
L’artiste renverse la verticalité, hisse les supports : ils ne sont plus là simplement pour recevoir, être pénétrer. L’espace prend une autre dimension loin des scènes traumatiques ou giboyeuses. Soudain une triangulation opère. Elle met fin au pseudo opposition du couple masculin, féminin. Emprunter ce parcours revient à prendre la part du risque, renoncer aux formes prévisibles et retrouver une progression au coeur de l’inévidence du matériau sorti de ses formes admises.
Si l’on pousse plus loin cela revient à affronter le trou béant de la mère et le re-père phallique. On en finit avec les fantasmes oedipiens car la peinture de Badin inscrit un espace neuf. Soudain le fils père-turbé peut devenir géniteur par ce que lui propose la peinture. L’image-mère devient l’objet « sculptural » pour la raison la plus essentielle et la plus organique :notre cerveau et notre regard sont incapables d’en imaginer la spatialité et la véritable profondeur.
La peinture devient parallèlement la procédure la plus appropriée pour rendre compte d’un tel développement et d’un tel renversement d ’inaccessibles coordonnées spatiales. Surgissent non seulement un lieu inédit mais sa sensation. Elle se met à bouillir dans l’aveugle gangue de notre boîte crânienne. C’est un paysage avec dépressions, montagnes, rivières. C’est un panorama qui nous entoure. Nous le possédons soudain comme il nous a possédé.
Chaque oeuvre devient un objet d’aimantation et de propulsion. Elle reste le site à parcourir et renverse organiquement à partir d’elle-même. Elle nous abandonne et nous reprend. Profondeur. Epissure. Epaisseur. Pas d’esquive. Cela reste troublant, difficile à décrire. Aussi simple qu’énigmatique. Avènement de la disparition, de l’indiscernabilité.
Il y a destruction de la surface comme entité première Mais elle consiste moins dans son inversion, sa réversion que dans sa mise en passage. Surgit une dilution de l’effet de surface pour multiplier ses qualités d’excroissance. Surgit enfin une obombration très atmosphérique et la qualité d’un passage dans la surface pour la plénitude de vie.
Il s’agit sans doute la peinture la plus lucide et le plus instinctive qui soit. Extralucide aussi. Celle d’une conscience qui ne pense plus la constitution du visible dans les termes d’une simple déposition. La peinture exige pour Badin un autre point de vue. Ce qui demeure devient à demi « charnel », à demi atmosphérique. C’est un entre deux – superficie qui « joue » avec une autre superficie.
¨Plus que de montrer l’artiste nous plonge dans ses labyrinthes dont nous ne sommes pas ou jamais sortis. La surface devient un ailleurs. Mais elle est l’autre en nous que nous ne pouvons oublier. Elle est la douleur, le plaisir, la pensée, le monde ou plutôt l’ombre de tout cela tant elle semble porter les stigmates de la scène dont nous sommes les captifs depuis l’aube de notre vie jusqu’à son crépuscule. Et si sa sculpture possède une force de mimesis c’est soudain pour nous faire ressentir notre vide dans les espaces interstitiels qui neutralisent le corps et son identité.
Jamais plus qu’ailleurs la peinture devient un acte de puissance et de temps suspendu. Elle est tout le contraire de la guenille de la Vanité. Il y a là traversées et condensation. Passage. Sa torsion s’ouvre à une autre dimension. Elle ne peut plus être le territoire où l’illusion vient se poser comme sur un vieux mur où les ongles du soleil se brisent à mesure que notre hiver nous endurcit, nous affaiblit.
Il n’y a plus ce miroir que nous chérissons de nos voeux et que l’histoire de l’art nous a appris à attendre et à contempler. Nous sommes jetés là devant, comme devant des cadavres sans prendre le temps de dégager de leur collet. Ce n’est cependant pas la manière préférer la douleur de la nuit à la splendeur du jour mais d’entrer en confrontation communicante avec la vie.
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Jean-paul Gavard-perret, septembre 2009