Des lieux et un enfant

Des lieux et un enfant, des génies pour le servir, deux temps qui ont varié, l’ancien et le nouveau présent. Les étonnements de l’enfant, surpris jusque dans ses sortilèges. – Un texte de Georges Badin

Le haut et le bas. Deux directions qui, s’ils communiquaient, étaient étrangers à l’enfant. S’il s’accoudait à la balustrade de la grande place, ce qu’il voyait était de l’ordre du passage. A sa gauche, des arbres dont la noirceur l’atteignait presque et il savait bien qu’il n’irait jamais jusqu’à eux. Ils appartenaient à la grande maison qui s’imposait en face de ses fenêtres. Puis la promenade s’annonçait. Pas d’énumération, de buts,  mais il allait du jardin à la maison en pierres et de celle-ci aux collines si proches, sur lesquelles il s’attardait. Aujourd’hui l’écart entre les branches des arbres au-dessus de l’eau crée un espace sur la toile. Ce qui a changé, c’est une vie toujours traquée en quelque sorte et qui, naissant d’un fragment de nature, veut établir une différence jusqu’à donner vie à l’apparence.
En ces traversées, le péril n’est pas apparent, couve peut-être,  mais dans ce cas, ce qui a lieu, c’est un frémissement avec quelques faibles menaces. Ainsi le cheval-Minotaure attire l’enfant derrière la barrière de bois et il vit aussi fortement sa peur, son trouble que s’il était à l’intérieur de l’enclos. Le château-fort fait de branchages domine de quelques mètres le chemin d’où deux attaquants, avec des bois qu’ils lancent sur lui, tentent de le détruire. Ils n’y arriveront jamais et cela fait naître une durée sans point final. Ainsi le temps, espace pourrait-on dire propre à l’enfant,  est son allié, sa joie, sa nécessité  sans complaisance, tout d’avenir en ses relations avec lui. Aujourd’hui, écrits, peintures sont des armes contre un temps fractionné, contraint à des passages partiels.
Il marchait sur des raies de soleil, la terre était claire et ses pas avaient un rythme et une nonchalance qui seraient repris par la ligne noire sur le papier pour noter un certain retour dans le temps d’avant qui finalement n’était qu’un leurre dans sa courbe. Sur le chemin avant le petit pont qui traversait la rivière, la mousse avait donné à l’eau une verdeur tendre et le soir, alors qu’il n’était pas très loin d’elle, avec les grenouilles qui croassaient, il avait déjà dans la tête grâce à la couleur qu’il revoyait presque des ébauches de peintures. L’eau du dehors est jointe à celle de la profondeur , désir montant jusqu’au jour et elle apparaît dans la franchise, l’éclat, dans une fraîcheur retrouvée comme celle de l’eau de la rivière. Ainsi, lui disait-elle, amorce la pompe et il le faisait. Il continuait sur le sentier avec, à sa droite, des dahlias rouges dans le jardin. « L’infinie diversité s’évoque ou se raconte ou est illustrée ailleurs, mais elle ne se dit qu’au poème. Pourquoi ? Parce que la parole poétique éclate dans l’inlassable éblouissement du ressouvenir des terres qui s’effondrent, elle s’alentit aussi aux ombrages des forêts, qui font en même temps caverne et lumière, dehors dedans. Le poème ainsi envahit la clarté dans l’obscur, recommençant le geste des temps premiers. Il est (il chante) le détail, et il annonce aussi la totalité. Mais c’est la totalité des différences, qui n’est jamais impérieuse. » (Edouard Glissant, Philosophie de la Relation)
Georges Badin