Avec Georges Badin par Daniel Leuwers
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C’est un vrai plaisir d’oeuvrer avec Georges Badin. Cela dure depuis six ans, et je ne l’ai toujours pas rencontré ! C’est dire que tout se passe dans le travail -et c’est bien ainsi.
De longue date, j’ai admiré Georges Badin. Je connaissais ses livres avec Butor, j’avais vu de ses expositions dans la rue de Seine qui m’est si chère à Paris (j’y ai vécu mes années d’étudiant). Lors d’un séjour au Québec, j’avais même trouvé de lui un livre de poèmes édité au Mercure de France. Peu après, j’avais acheté un livre qui intégrait une peinture de lui chez Ecbolade et avais obtenu de l’éditeur l’adresse de l’artiste. L’aventure pouvait commencer.
Avec Georges Badin, ça fonctionne dans les deux sens.
Il y a d’abord les petites feuilles manuscrites que je l’invite à accompagner. Elles incluent de mes textes personnels, mais aussi des textes de Butor et de poètes qu’il a lui-même sollicités ou que je lui propose dans le cadre des « livres pauvres » -ces collections de livres d’artistes hors commerce que j’ai lancées en 2002. Georges Badin se retrouve ainsi associé à Henri Meschonnic, Pierre Oster, Patrick Chamoiseau et j’en passe.
Et puis il y a les livrets que Georges Badin a préparés et déjà peints et où il attend un texte. Chaque livret peut atteindre jusqu’à une vingtaine de peintures chacun. C’est une véritable fête.
Il y a enfin ces immenses toiles roulées qu’un porteur spécial dépose à ma porte et où il s’agit de mêler quelques mots de poète pour que, dans l’esprit de Georges Badin, l’oeuvre soit parachevée. Cette technique de la toile écrite, Georges Badin l’a expérimentée avec Butor -et elle révèle la place prééminente que le peintre accorde à la poésie. Les toiles de Badin sont amples, magnifiques et se suffiraient à elles-mêmes. Mais le peintre, modestement, veut des mots, aimante une complicité qui le ramène à sa naissance artistique première: la poésie. Badin figure, en effet, au catalogue du Mercure de France en compagnie d’Yves Bonnefoy et d’André du Bouchet. Devenir peintre, ce sera pour lui une façon de rester poète et de le vérifier auprès d’autres poètes de toutes les générations.
Ce que j’aime, c’est que, lorsque j’envoie des textes manuscrits à Georges Badin, ils me reviennent couverts de peintures et de traits au fusain, dans la semaine même -ou peu s’en faut. Il y a une vitesse d’exécution, une fougue prompte à délester toute déperdition dans le travail de Georges Badin. En cela, il est poète. L’aventure tient du rapt. Je lui envoie des raccourcis de mon histoire personnelle (c’est ainsi qu’à tort ou à raison je conçois le poème) et il les atteste de sa griffe inimitable. Il y a un peu de Jackson Pollock dans ce peintre très gestuel, mais il y a aussi une sorte de corps à corps plus intime (on dirait qu’il se couche sur sa toile) avec la peinture même où Badin intègre des bouts de bois de son jardin, des morceaux de ficelle aussi.
C’est gai. Une forme d’art total. Je pense souvent à Picasso, à cause de cette véritable fébrilité qui entend contrecarrer la mort ou les forces négatives qui nous travaillent. Je sens Georges Badin du côté de la jeunesse toujours. Ses bleus sont intenses. Il y a même un bleu Badin qui me fait frémir. C’est l’été, la mer, mais aussi le miroir où l’été s’efface, où l’on a été donc et qui laisse des bleus. Le rouge s’étale par flaques. « Flaques de verre » chères à Pierre Reverdy, mais, plus encore, quelque chose comme « Le Chant des morts» du même Reverdy , accompagné des grandes traînées de peintures rouges de Picasso (ce chef-d’oeuvre a été réalisé par l’éditeur Tériade et figure pour moi le plus beau livre du XXème siècle, avec le fabuleux « Jazz » d’Henri Matisse).
Fort de tels patronages, on se sent bien avec Badin, comme protégé par l’anse de la baie de Poulhilles , toute proche de sa maison de Céret- lieu cher à Picasso, comme on sait.
Le facteur (sorte de succédané du Père Noël) apporte toujours de lui des surprises, des moments d’émerveillement. Ça vit, ça résiste, rien n’est triste. Cette fougue me fait vivre. J’adore Badin et le dis et le redis en maints textes. Celui-ci aussi.
Daniel Leuwers
Mars 2011
Répliques à Daniel Leuwers
Si peu de vie qu’il y ait, elle est à considérer comme un foyer qui ne peut s’éteindre. Deux faits, l’un n’a pas d’auteur ni d’origine, l’autre vous mène à la vivacité si faible qu’elle émeut, à la beauté tellement écrite ou peinte ou chantée qu’elle ne s’éloigne pas, se complaisant dans cette disparition qui la tente. Il y a autant de force, peut-être voulue, chez Daniel Leuwers, des partir pour tout le bonheur où il se trouvera : Brésil, Israêl, Valras … et les envois qu’il me faisait avec la volonté farouche d’écrire à l’aventure pour ne pas être devant décevoir. Ce qu’avait atteint Chopin en se servant du clavecin avec un seul mot « liant » ou « allegro », Leuwers le savait bien, sa vie me l’avait appris.
« Je n’entends / Que son pas qui se risque dans la nuit / Gauchement, vers en bas, sans main qui aide » (« Une photographie » Bonnefoy). Phrase dont les mots qu’il faudra suivre, délaisser peut-être pour que la poésie à venir ne s’estompe pas.
« La laitière » de Vermeer s’impose : le jaune et le bleu, déjà par le secours des tissus, corset et tablier. Il y a du rouge qu’il faut chercher, mais présent. Tu as écrit « comme une flaque » dans beaucoup de mes toiles. Ce qui est éclairé : deux faits si l’on veut, elle verse le lait, concentrée, attentive et l’autre, la lumière donne un avenir absolu à cet instant. (« Eterniser l’instant » Baudelaire)
Ton texte est une longue histoire avec un début où accroché par ce que tu vois ou lis tu veux poursuivre : deux noms de poètes majeurs.
Si j’en viens à notre collaboration, au fait que j’allais vite avec les feuilles que tu m’envoyais et que je colorais ou griffais (le chat hier aiguisait ses griffes sur le tronc du tilleul du jardin, j’étais là à ses côtés), je vais vers cette expression : « attester les raccourcis de mon histoire personnelle ». « Certifier, garantir la réalité ou l’exactitude de quelque chose » (Larousse). Daniel qui écrit me pose à ses côtés sur son chemin ou pays, j’ai ce passage avec mes genêts, mes feuilles, l’arrêt sur la montagne et cette bande bleue, ciel ou ovale ou courbe de la colline vers la mer. D’autres images si l’on feuillette le carnet iront sans s’arrêter jusqu’à la cascade du gouffre de la Clapère. Daniel encore se penche sur la toile et y voit un gestuel proche de Pollock et de ses danses. Heureusement qu’il emploie plus loin le verbe « se coucher » et c’est toujours la toile, sa ferveur. Si il y a une suite à nos rencontres, J’attends de Daniel qu’il me donne des mots à voir, à entendre, comme si j’étais poète.
Georges Badin