Le devenir de Georges Badin par Max Fullenbaum

by b

En entrant dans l’œuvre de Georges Badin, m’est revenue une définition du tableau que je n’ai jamais oubliée.
La voici : « tableau, mots jamais dits que le peintre a trouvés et qu’il recouvre de peinture pour ne pas les nommer. »
Plus que le mot découverte, me disais-je, qui fait la notoriété de certains, le sésame des chemins solitaires ne serait-il pas la redécouverte,non-mot se devant, par vocation, d’être absent du dictionnaire ?
En effet, si le mot jamais dit n’était pas recouvert par un médium qui en soutire le suc, il cesserait immédiatement d’être tableau puisqu’il serait lu et que sa compréhension conviviale et unanime annulerait l’inexpérience en cours, en train de se faire. La peinture est un vocabulaire liquide qui inonde le sens littéral de luxuriance ou de désolation plastique, ou si on préfère une métaphore, la peinture est une essence qui embue l’œil imbu, celui qui lit, celui qui pense, en bref l’œil usé par un concordat, pour dégager l’œil vierge qui voit la première fois.
Telle fut la démarche, la marche en-dehors, de Georges Badin depuis ses Textructions des années 70 ; il a su montrer.
Montrer quoi ? Une inexpérience en train de se faire ou plutôt une inexpérience en train de se vivre.
Ce qui ne signifie point que Georges Badin ne s’est pas appuyé sur une solide expérience , plastique et littéraire, mais l’expérience est sociale tandis que l’inexpérience est individuelle. Sans le premier homme lui apportant l’inexpérience de sa première vie, l’expérience acquise par les générations se fige en un académisme mortel. L’inexpérience apporte la vie et avec la vie, la dissidence, le désordre fondamental.
Au tableau domestique paralysé par un châssis, par ses dogmes et par un mur, Georges Badin va opposer, avec ceux de support-surface, l’œuvre nomade en partance, l’œuvre portable, pliée car les plis sont des rides, foulée parce que la vie est mouvement, peinte des deux côtés parce qu’il n’y a pas d’endroit sans envers, fragmentée parce que le temps devient durée quand on capte l’entre-deux par la simultanéité des visions.
Il s’agit pour Georges Badin de substituer à l’être.
Il suffit de regarder Georges Badin peindre, allongé sur un drap signifiant. C’est un corps à corps, il fait le lit de l’amour, et les couleurs qu’il applique ne sont pas tant méditerranéennes que des couleurs vives, d’ailleurs elles sont liquides, elles enfantent des ouvertures, des couvertures.
Des couvertures… La mort en rouge et noir n’est jamais éloignée du drap car la première vie d’un homme se termine toujours par sa seconde mort.
« Pas de temps mort sur le sable blond de l’arène… » (1)
Oui, que du temps vivant sur la toile-corrida, inscrit jusqu’au bout de soi en couleurs affrontées…
«Pas de pauses. Pas de répit. Pas de négociations. Pas de querelles. » (2)
Car l’inexpérience vécue fondera, tôt ou tard, l’expérience modifiée : n’est plus le même, aujourd’hui, le châssis revenu qui n’en est pas revenu d’avoir pu disparaître.

(1) Georges Badin (extrait de Sur la tauromachie ou la corrida considérée comme l’inverse d’une installation)
(2) Georges Badin

MAX FULLENBAUM